Les “Avelei Tzion”, littéralement “les endeuillés de Sion”, désignent un courant spirituel important de l’histoire du judaïsme karaïte médiéval. Selon les sources, ce mouvement apparaît dès le IXᵉ siècle autour de figures comme Daniel al-Kumisi. Pendant environ deux siècles, jusqu’aux bouleversements de la première croisade, ils ont constitué une communauté vivante et influente installée à Jérusalem et en terre d’Israël. On les trouve parfois sous un autre nom, “Adat Shoshanim”, l’Assemblée des Roses, une image poétique exprimant la renaissance et l’espérance.
Les Avelei Tzion se distinguaient par un mode de vie profondément marqué par le deuil de Jérusalem et la destruction du Temple. Ils jeûnaient fréquemment, vivaient avec austérité, portaient des habits sombres ou simples, et consacraient une grande partie de leur temps à la prière, aux lamentations et aux kinot dédiées à la mémoire de Sion. Leur idéal spirituel était le retour à Jérusalem, non pas comme une simple nostalgie ou un pélerinage, mais comme un objectif réel et concret. Ils vivaient dans l’attente d’une rédemption, persuadés que la fidélité à la Torah, à la terre et à la justice finirait par restaurer la sainteté du royaume de Sion.
Les relations avec les autorités rabbanites de l’époque étaient souvent tendues.
Pourtant, dans le contexte du Moyen-Orient du Xe au XIᵉ siècle, les Avelei Tzion incarnaient un attachement authentique à Jérusalem, à un moment où une grande partie de la vie juive s’organisait plutôt en Babylonie. Leur identité était construite autour d’une idée forte : le centre spirituel du judaïsme ne se trouvait pas en exil, mais à Jérusalem, même si la ville était brisée.
À partir du XIᵉ siècle, la rigueur qui caractérisait leur mode de vie commença à s’atténuer. Les jeûnes furent moins fréquents, les restrictions alimentaires assouplies, et progressivement les dirigeants karaïtes quittèrent Jérusalem pour l’Égypte. Les catastrophes du XIᵉ siècle, notamment la conquête de Jérusalem en 1073 puis la prise de la ville par les croisés en 1099, détruisirent presque entièrement la présence karaïte locale. Pourtant, même après la disparition de leur communauté en terre d’Israël, l’idée des Avelei Tzion survécut : dans les écrits, dans la mémoire karaïte, et comme symbole d’un judaïsme attaché à sa terre et à son identité.
Aujourd’hui, dans le judaïsme rabbinique, l’expression “Avelei Tzion veYeroushalayim” est devenue un concept liturgique central et même une mitsva dans le cadre des condoléances. Pourtant, cette utilisation ne renvoie presque jamais à l’origine historique et spirituelle de cette philosophie ni à la branche karaïte qui l’a incarnée de manière radicale et vivante.
Le terme est employé, mais son histoire, sa profondeur et ceux qui l’ont porté au sens premier sont très rarement évoqués. Cela montre combien une idée née dans le karaïsme médiéval peut continuer à traverser les siècles, parfois méconnue, parfois détachée de sa source d’origine, mais toujours vivante dans la conscience juive.
Benjamin S