La montée du nationalisme et l’expulsion des Juifs d’Égypte
L’expulsion progressive des Juifs d’Égypte, dont les Karaïtes faisaient partie, s’inscrit dans un contexte de montée du nationalisme arabe et de transformations politiques profondes au XXe siècle.
Plusieurs facteurs ont contribué à leur départ forcé :
À partir des années 1920, le nationalisme égyptien, d’abord porté par le parti Wafd, revendiqua l’indépendance face à la présence britannique. Bien que les Juifs égyptiens aient longtemps bénéficié d’une relative intégration, leur situation se compliqua avec l’intensification du discours nationaliste, qui visait progressivement les minorités perçues comme liées aux puissances étrangères.
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Les tensions autour du protectorat britannique : Pendant la période coloniale, une partie des Juifs du Caire bénéficiait d’une protection consulaire (notamment les Séfarades et Ashkénazes sous influence britannique, française ou italienne), ce qui leur permit d’échapper à certaines restrictions imposées aux citoyens égyptiens. Cette situation attisa des ressentiments, car le nationalisme égyptien se renforçait autour de la notion d’une identité nationale arabe et musulmane.
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L’émergence d’un discours antisémite importé d’Europe repris par les pays arabes : Dans les années 1930, sous l’influence des mouvements fascistes en Italie et en Allemagne, ainsi que d’une propagande antisémite diffusée par certains cercles panarabes, l’image des Juifs se détériora progressivement. Le Grand Mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, en exil au Caire, joua un rôle dans la diffusion de cette hostilité à l’égard des communautés juives, en assimilant leur présence aux intérêts étrangers et sionistes.
L’impact de la création d’Israël et de la guerre de 1948
La création de l’État d’Israël en 1948 marqua un tournant pour les Juifs d’Égypte.
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Les violences anti-juives de 1945 à 1948 : Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs émeutes anti-juives éclatèrent en Égypte, notamment en 1945 et en 1948. Des synagogues furent incendiées, des magasins pillés, et des dizaines de Juifs furent tués dans des émeutes attisées par les tensions au Proche-Orient.
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L’accusation de sionisme et les premières arrestations : Après la déclaration d’indépendance d’Israël, le gouvernement égyptien prit des mesures de répression contre les Juifs. Il accusa plusieurs membres de la communauté d’être des agents sionistes ou des espions. Plus de 250 Juifs furent arrêtés en 1948-1949, et certains furent internés dans des camps militaires.
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L’adoption de lois discriminatoires : En 1948, le gouvernement imposa des restrictions économiques aux Juifs, gelant les comptes bancaires et limitant l’accès à certaines professions. Ces mesures entraînèrent la ruine de nombreuses familles et poussèrent un premier exode, notamment vers la France, l’Italie et Israël.
La révolution de 1952 et la radicalisation du régime Egyptien
L’accession au pouvoir du général Naguib puis de Nasser après la révolution des Officiers libres en 1952 marqua une nouvelle phase de persécution contre les Juifs.
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Les nationalisations sous Nasser : À partir de 1954, le régime nassérien entreprit la nationalisation des industries et des grandes entreprises, touchant directement les entrepreneurs juifs. De nombreux commerces et banques dirigés par des Juifs furent saisis, et les propriétaires expropriés.
La crise de Suez (1956) et l’ordre d’expulsion des juifs
L’élément déclencheur de l’exode massif des Juifs d’Égypte fut la crise de Suez en 1956.
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La guerre de Suez : En réponse à la nationalisation du canal de Suez par Nasser, la France, la Grande-Bretagne et Israël lancèrent une attaque militaire contre l’Égypte. Ce conflit intensifia la répression contre les étrangers et les minorités juives.
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Les expulsions officielles : En novembre 1956, Nasser promulgua un décret ordonnant l’expulsion de milliers de Juifs. Ils devaient quitter l’Égypte sous 48 heures, sans droit de retour, et en abandonnant tous leurs biens. Environ 25 000 Juifs furent contraints à l’exil en quelques mois.
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Déchéance de la nationalité égyptienne : Beaucoup de Juifs furent déchus de leur citoyenneté égyptienne et contraints de partir en laissant derrière eux maisons, commerces et biens. Des organisations humanitaires et la Croix-Rouge facilitèrent leur départ, les répartissant entre Israël, la France, les États-Unis et d’autres pays d’accueil.
L’ultime départ et l’extinction d’une communauté millenaire
- Après la crise de Suez, il ne restait plus qu’une infime minorité de Juifs en Egypte. En 1967, la guerre des Six Jours entraîna une nouvelle vague de répression. Les derniers Juifs, y compris les Karaïtes, furent arrêtés ou harcelés par les services de renseignement.
En 1970, seuls 1 500 Juifs vivaient encore au Caire.
En 2021, il ne restait plus que neuf Juifs en Égypte.